Page:Zola - Le Capitaine Burle et 5 autres nouvelles.djvu/231

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se pailletait d’étincelles, sous le soleil triomphant.

La nuit, les nuits de lune surtout, nous aimions également nous rendre à un village voisin, en amont, et revenir tard, vers minuit, au fil du courant. La barque descendait très lente, dans le grand silence. Au ciel d’un bleu éteint, la lune pleine montait, jetant, sur la nappe élargie, son éventail d’argent. On ne distinguait rien autre, les deux rives, avec leurs champs et leurs coteaux, étaient comme deux masses d’ombre, entre lesquelles la coulée du fleuve passait toute blanche. Cependant, de ces campagnes qu’on ne voyait pas, montaient par moments des voix lointaines, le cri d’une chouette, le coassement d’une grenouille, le large frisson des cultures endormies. Et nous regardions la lune danser dans le sillage de notre barque, nous laissions pendre nos mains brûlantes dans l’eau fraîche.

Quand je revenais à Paris, je gardais longtemps en moi le balancement du canot. La nuit, je rêvais que je ramais, qu’une barque noire m’emportait à la dérive, au fond de l’ombre. C’étaient des retours pleins de tristesse. Le pavé des rues m’exaspérait, et, lorsque je passais les ponts, je jetais sur la Seine un regard d’amant jaloux. Puis, la vie recommençait, il fallait bien vivre. Ma besogne me