Page:Zola - Le Capitaine Burle et 5 autres nouvelles.djvu/302

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Est-ce que vous distinguez quelque chose, grand-père ?

— Non, non, dis-je. Les feuillages ne bougent même pas.

En effet, la ligne basse de l’horizon, paisible, dormait. Mais je parlais encore, lorsqu’une exclamation nous échappa. Derrière les fuyards, entre les troncs des peupliers, au milieu des grandes touffes d’herbe, nous venions de voir apparaître comme une meute de bêtes grises, tachées de jaune, qui se ruaient. De toutes parts, elles pointaient à la fois, des vagues poussant des vagues, une débandade de masses d’eau moutonnant sans fin, secouant des baves blanches, ébranlant le sol du galop sourd de leur foule.

À notre tour, nous jetâmes le cri désespéré :

— La Garonne ! la Garonne !

Sur le chemin, les deux hommes et les trois femmes couraient toujours. Ils entendaient le terrible galop gagner le leur. Maintenant, les vagues arrivaient en une seule ligne, roulantes, s’écroulant avec le tonnerre d’un bataillon qui charge. Sous leur premier choc, elles avaient cassé trois peupliers, dont les hauts feuillages s’abattirent et disparurent. Une cabane de planches fut engloutie ; un mur creva ; des charrettes dételées