Page:Zola - Le Capitaine Burle et 5 autres nouvelles.djvu/306

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Marie. Elle leur mit les cartes dans les mains, joua elle-même d’un air de passion, battant, coupant, distribuant le jeu, avec une telle abondance de paroles, qu’elle étouffait presque le bruit des eaux. Mais nos filles ne pouvaient s’étourdir ; elles demeuraient toutes blanches, les mains fiévreuses, l’oreille tendue. À chaque instant, la partie s’arrêtait. Une d’elles se tournait, me demandait à demi-voix :

— Grand-père, ça monte toujours ?

L’eau montait avec une rapidité effrayante. Je plaisantais, je répondais :

— Non, non, jouez tranquillement. Il n’y a pas de danger.

Jamais je n’avais eu le cœur serré par une telle angoisse. Tous les hommes s’étaient placés devant les fenêtres, pour cacher le terrifiant spectacle. Nous tâchions de sourire, tournés vers l’intérieur de la chambre, en face des lampes paisibles, dont le rond de clarté tombait sur la table, avec une douceur de veillée. Je me rappelais nos soirées d’hiver, lorsque nous nous réunissions autour de cette table. C’était le même intérieur endormi, plein d’une bonne chaleur d’affection. Et, tandis que la paix était là, j’écoutais derrière mon dos le rugissement de la rivière lâchée, qui montait toujours.