Page:Zola - Le Capitaine Burle et 5 autres nouvelles.djvu/341

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cadavres emportés par le fleuve. Je me suis décidé à tenter le voyage.

Quel épouvantable désastre ! Près de deux mille maisons écroulées ; sept cents morts ; tous les ponts emportés ; un quartier rasé, noyé sous la boue ; des drames atroces ; vingt mille misérables demi-nus et crevant la faim ; la ville empestée par les cadavres, terrifiée par la crainte du typhus ; le deuil partout, les rues pleines de convois funèbres, les aumônes impuissantes à panser les plaies. Mais je marchais sans rien voir, au milieu de ces ruines. J’avais mes ruines, j’avais mes morts, qui m’écrasaient.

On me dit qu’en effet beaucoup de corps avaient pu être repêchés. Ils étaient déjà ensevelis, en longues files, dans un coin du cimetière. Seulement, on avait eu le soin de photographier les inconnus. Et c’est parmi ces portraits lamentables que j’ai trouvé ceux de Gaspard et de Véronique. Les deux fiancés étaient demeurés liés l’un à l’autre, par une étreinte passionnée, échangeant dans la mort leur baiser de noces. Ils se serraient encore si puissamment, les bras raidis, la bouche collée sur la bouche, qu’il aurait fallu leur casser les membres pour les séparer. Aussi les avait-on photographiés en-