Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/133

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le but d’un grand étalage de modes nouvelles ; on a voulu mettre dans un succès cette chance, en choisissant de préférence un milieu d’action où le luxe fût autorisé. Le lendemain d’une première représentation, la presse s’occupe autant des toilettes que de la pièce ; tout Paris en cause, une bonne partie des spectateurs et surtout des spectatrices vient au théâtre pour voir la robe bleue de celle-ci ou le nouveau chapeau de celle-là.

On dira que le mal n’est pas grand. Mais, pardon, le mal est très grand ! Sous une hypocrisie de réalité, il y a là un succès cherché en dehors des œuvres elles-mêmes. Ces toilettes éclatantes ne sont pas vraies, d’ailleurs, dans leur uniformité superbe. On ne s’habille pas ainsi à toute heure du jour, on ne joue pas continuellement la gravure de mode. Puis, ce goût excessif des toilettes riches a ceci de désastreux qu’il pousse les auteurs dans la peinture d’un monde factice, d’une distinction convenue. Comment oser risquer une pièce se passant dans la bourgeoisie médiocre, ou dans le petit commerce, ou dans le peuple, lorsqu’il faut absolument au public des robes de cinq ou six mille francs ! Alors, on force la note, on habille des bourgeoises de province comme des duchesses, ou l’on introduit une cocotte, pour qu’il y ait au moins un pétard de soie et de velours. Trois actes ou cinq actes en robes de laine paraîtraient une démence ; demandez à un fabricant habile s’il risquerait cinq actes sans la grande toilette de rigueur.

Eh bien, la vérité au théâtre souffre encore de tout cela. On hésite devant une question de costumes trop pauvres, comme on hésite devant une audace de