Aller au contenu

Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

une enjambée, ne lâche pas une phrase, sans que cette enjambée et cette phrase ne hurlent de fausseté. J’excepte seulement les grands cris de passion et de vérité que jettent parfois les artistes de génie.

Je sais quelle est la réponse. Le théâtre, dit-on, vit uniquement de convention. Si les acteurs tapent du pied, forcent leur voix, c’est pour qu’on les entende ; s’ils exagèrent les moindres gestes, c’est afin que leurs effets dépassent la rampe et soient vus du public. On en arrive ainsi à faire du théâtre un monde à part, où le mensonge est non seulement toléré, mais encore déclaré nécessaire. On rédige le code étrange de l’art dramatique, on formule en axiomes les faussetés les plus étonnantes. Les erreurs deviennent des règles, et l’on hue quiconque n’applique pas les règles.

Notre théâtre est ce qu’il est, cela me paraît un simple fait ; mais ne pourrait-il pas être autrement ? Rien ne me fâche comme le cercle étroit où l’on veut enfermer un art. Certes, en dehors de l’heure présente, il y a le vaste monde qui garde une grande importance. Si l’on a le seul désir de réussir au théâtre, d’étudier ce qui plaît au public et de lui servir le plat qu’il aime et auquel il est habitué, sans doute il faut se conformer à la formule actuelle. Mais si l’on est blessé par cette formule, si l’on croit que la tradition a tort et qu’il faudrait accoutumer le public à un art plus logique et plus vrai, il n’y a certainement aucun crime à tenter l’expérience. Aussi suis-je toujours stupéfié, quand j’entends les critiques déclarer gravement : « Ceci est du théâtre, cela n’est pas du théâtre. » Qu’en savent-ils ? Tout l’art n’est pas contenu dans une formule. Ce qu’il appelle le théâtre,