Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/153

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Eh ! non, le théâtre, ce n’est pas ça ! L’absolu n’existe point. Le théâtre d’une époque est ce qu’une génération d’écrivains le fait. Nous sommes, malheureusement, d’une ignorance crasse et d’une vanité incroyable. Les littératures des peuples voisins sont pour nous comme si elles n’étaient pas. Si nous étions plus curieux, plus lettrés, nous connaîtrions depuis longtemps la Mort civile, et nous verrions dans ce drame un singulier démenti à nos théories françaises. Il est conçu absolument dans la formule que j’indique, depuis que je m’occupe de critique dramatique ; et il paraît que cette formule n’est pas si mauvaise, puisque l’Italie tout entière a applaudi la pièce.

Mais je m’arrête, car j’enfourche là mon dada, et c’est de Salvini surtout dont je veux parler. Je me méfiais beaucoup des acteurs italiens, je me les imaginais d’une exubérance folle. Aussi quel a été mon étonnement, lorsque j’ai constaté que le grand talent de Salvini est tout de mesure, de finesse, d’analyse. Il n’a pas un geste inutile, pas un éclat de voix qui détonne. Au premier aspect, il serait plutôt gris, et il faut attendre pour être empoigné par ce jeu si simple, si savant et si fort.

Je citerai quelques exemples. Son entrée de forçat fugitif, d’homme humble et souffrant, inquiet et torturé, est merveilleuse. Mais ce qui m’a plus frappé encore, c’est la façon dont il dit le long récit de son évasion. Tout d’un coup, au milieu de l’allure dramatique de la scène, c’est un coin de comédie qui s’ouvre. Il baisse la voix, comme si l’on pouvait l’entendre ; il dit le récit sur le même ton voilé, en s’animant pourtant, en finissant par rire d’avoir si bien