Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/154

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trompé les gardiens. Nous n’avons pas un seul acteur de drame en France qui aurait l’intelligence d’effacer ainsi sa voix. Tous raconteraient leur fuite en roulant les yeux et en faisant les grands bras. L’impression que produit Salvini par la simplicité de son jeu est prodigieuse en cette occasion.

Il me faudrait citer toutes les scènes. Dans la conversation qu’il a avec le docteur, et plus tard dans la scène avec Rosalie, lorsqu’il laisse tomber sa tête sur la poitrine de cette femme qu’il aime tant et qu’il va perdre, il arrive aux plus larges effets du pathétique. Je ne voudrais être désagréable pour personne, mais puisque j’ai comparé la Mort civile à Une Cause célèbre, je puis bien rapprocher Salvini de Dumaine. Il faut voir le premier pour comprendre combien le second crie et se démène inutilement. Tout le jeu de Dumaine, dans Jean Renaud, devient faux et pénible, à côté du jeu si souple et si vrai de Salvini. Celui-ci a étudié l’âme humaine, il en analyse les nuances, il est un homme qui pleure.

Mais où il a été superbe surtout, c’est au dernier acte, lorsqu’il meurt. Je n’ai jamais vu mourir personne ainsi au théâtre. Salvini gradue ses derniers moments de moribond avec une telle vérité, qu’il terrifie la salle. Il est vraiment un mourant, avec ses yeux qui se voilent, sa face qui blêmit et se décompose, ses membres qui se raidissent. Lorsque Emma, sur la demande de Rosalie, s’approche et l’appelle : « Mon père », il a un retour de vie, un éclair de joie sur son visage déjà mort, d’un charme douloureux ; et ses mains tremblent, et sa tête se penche, secouée par le râle, tandis que ses derniers mots se perdent et ne s’entendent plus. Sans doute, on a fait souvent cela au