Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/194

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réclame pas le grand art plus impérieusement encore que les idéalistes ? M. de Lapommeraye me prend-il pour un vaudevilliste, ou pour un faiseur d’opérettes ? Il faudrait s’entendre sur le grand art, un mot dont M. Prudhomme a plein la bouche, et que les esprits médiocres galvaudent dans toutes les boursouflures de la versification. M. de Lapommeraye a cité la Fille de Roland. Eh bien, la Fille de Roland est de l’art très petit, de l’art absolument inférieur ; et attendez vingt ans, vous verrez ce qu’en penseront nos fils. Je donnerais ce paquet informe de mauvais vers, pour deux vers d’un vrai poète. Non, mille fois non ! le grand art n’est pas l’art monté sur des échasses, l’art en tartines, l’art qui tient de la place et qui fait les grands bras, en roulant les yeux. Je préfère un vaudeville amusant à une tragédie imbécile. Le grand art, c’est l’épanouissement du génie, pas autre chose, quel que soit le cadre choisi par le génie. La Noce juive, de Delacroix, un tableau d’intérieur large comme la main, est du grand art, tandis que les toiles immenses de nos Salons annuels sont généralement de l’art odieux et lilliputien.

Et j’affirme que le naturalisme autant que l’idéalisme aspire au grand art. M. de Lapommeraye s’est débarrassé du naturalisme de la façon la plus commode du monde. « Quand vous êtes au bord de la mer, a-t-il dit à peu près, ne préférez-vous pas vous perdre dans la contemplation de l’infini, de l’horizon lointain où le ciel et l’eau se confondent ? n’êtes-vous pas plus ému par ce spectacle que par le spectacle de la plage, où rôdent des pêcheurs sordides ? » Sans doute, l’horizon lointain, c’est l’idéalisme, tandis que la plage, c’est le naturalisme.