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Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/223

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embarras. Pour obtenir du réel, il faut avoir surtout du réel plein les mains. Selon moi, Justice est l’œuvre d’un poète qui n’a pas songé à couper ses ailes, et que ses ailes font trébucher. Nous retrouvons là le chef de groupe, grandi dans un cénacle, avec le clou d’une idée fixe enfoncé dans le crâne.

Je commencerai par les éloges. Dans Justice, l’effort littéraire me trouve plein de sympathie. On joue tant de pièces odieusement pensées et écrites, qu’il y a un véritable charme à tomber sur l’œuvre voulue d’un poète. Cette œuvre peut soulever en moi les plus vives objections, elle n’en est pas moins du monde de ma pensée, elle m’occupe et me passionne. Fût-elle tout à fait mauvaise, elle resterait pleine de saveur. J’aime cette histoire, ce médecin qui a volé et qui est venu se laver de sa faute par de bonnes œuvres, dans une province perdue ; j’aime cette fille de notaire, qui parle et agit comme une création du rêve ; j’aime ces deux amoureux, que le monde gêne, et qui se débarrassent du monde, en mourant aux bras l’un de l’autre. Oui, j’aime ces choses, malgré leur folie, parce qu’elles sont la volonté d’un artiste, et que dans leur incohérence même on sent l’enfantement d’un esprit qui n’a rien de vulgaire.

Malheureusement, il faudrait m’en tenir là. Si j’arrive à l’analyse de la pièce, en dépit de toute ma sympathie, je me sens devenir grave et sévère. M. Catulle Mendès a eu le tort de plaisanter avec la réalité. Il aurait dû habiller ses personnages de justaucorps et de pourpoints, et nous lui aurions tout pardonné. Mais entrer dans la vie moderne en poète lyrique, voilà qui est grave ! Il se tromperait, s’il