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Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/224

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croyait que rien n’est plus commode à trousser que la vérité ; la vie de tous les jours est là, comme comparaison, et l’on ne peut pas mettre debout une fille de notaire de fantaisie, comme on planterait une damoiselle, avec une jupe de satin et une coiffure copiée dans les livres du temps. En un mot, il faut avoir le sens de la modernité, quand on aborde un sujet contemporain. Les romantiques, qui s’imaginent pouvoir peindre la vie actuelle en se jouant, et par farce pure, s’exposent aux échecs les plus piteux. Rien n’est sévère et rien n’est haut comme la peinture, de ce qui est.

Le grand défaut de Justice est d’être une création en l’air, tout comme s’il s’agissait d’un poème. Voici, par exemple, le plus grand effet de la pièce. Le docteur Valentin a volé pour sauver sa sœur de la prostitution,—une invention fâcheuse, par parenthèse,—et il est aimé de Geneviève, la fille du notaire Suchot. Lui-même l’adore ; mais il va fuir, pour ne pas révéler son passé, lorsque Georges, le frère de Geneviève, le surprend avec celle-ci et le force à une explication. Dès que Georges connaît le secret de Valentin, il raconte a la jeune fille que ce dernier est marié, pour qu’elle rompe plus aisément avec lui. De là, grande douleur de Geneviève. Puis, à l’acte suivant, lorsqu’un gredin lui dénonce le vol de Valentin, elle dit avec force : « Je le savais depuis quatre ans, et je vous aime, Valentin, je vous aime ! »

Certes, le mot est très beau et devrait produire un grand effet d’admiration et d’émotion. Eh bien ! je crois que l’effet est surtout un effet de surprise. Cela vient de ce que chaque spectateur fait cette réflexion rapide : « Comment Geneviève n’a-t-elle pas compris