Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/237

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de ce monde ouvrier, étudié dans ses mœurs et dans son langage. Là étaient la nouveauté et la hardiesse, là a été le succès. Dès que Nanine se montrait, dès qu’on voyait reparaître ce lord de convention qui se promène d’un air dolent parmi les serruriers et les peintres en bâtiment, l’intérêt languissait, on souriait même, on écoutait d’une oreille distraite des scènes interminables, connues à l’avance. Il fallait que Guillaume et qu’Ursule reparussent, pour que la salle fût de nouveau prise aux entrailles.

Le pis est que M. Louis Davyl a certainement mis là les figures démodées et ridicules de son aventurière, de son lord, de son bandit du grand monde, pour faire accepter ses ouvriers du public. Il s’est dit, j’en jurerais, que, par le temps qui court, le public ne voulait pas trop de vérité à la fois, et qu’il fallait être habile en ménageant les doses. Alors, il a accepté la recette connue, qui consiste à ne pas mettre que des ouvriers sur la scène, à les mêler dans une savante proportion à de nobles personnages. Et il a obtenu cette singulière mixture qui rend son drame boiteux et qui en fait une œuvre mal équilibrée et d’une qualité littéraire inférieure.

Je crois que le public lui aurait été reconnaissant de rompre tout à fait avec la tradition. Pourquoi un lord ? Elles sont rares les femmes d’ouvriers qui montent dans les lits des grands de la terre. Le plus souvent, elles trompent un serrurier avec un maçon. Transportez ainsi toute l’action des Abandonnés dans le peuple, et vous obtiendrez une pièce vraiment originale, d’une peinture vraie et puissante. Je répète que les seules parties de l’œuvre qui ont porté sont les parties populaires. C’est là une expérience