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Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/252

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se moque absolument de ce que vous pensez, des vérités que vous avez acquises, de la lumière que vous pouvez faire ; ce qu’il faut que vous disiez, c’est ce que le public pense lui-même, de façon à ce que vous ne blessiez pas ses opinions toutes faites et qu’il puisse vous applaudir.

Voilà ! Rien de plus amusant comme mécanique. Représentons-nous l’auteur dramatique dans son cabinet ; il est entouré de documents, il peut reconstruire, planter debout sur la scène, un personnage réel, tout palpitant de vie ; mais ce n’est pas là son souci, il ne se pose que cette question : « Qu’est-ce que mes contemporains pensent du personnage ? Diable ! je ne veux pas contrarier mes contemporains, car je les connais, ils seraient capables de siffler. Donnons-leur le bonhomme qu’ils demandent. » Et voilà la vérité historique tranchée au théâtre. Le théorème se résume ainsi : ne jamais devancer son époque, être aussi ignorant qu’elle, répéter ses sottises, la flatter dans ses préjugés et dans ses idées toutes faites, pour enlever le succès. Certes, il y a là un manuel pratique du parfait charpentier dramatique, qui a du bon, si l’on veut battre monnaie. Mais je doute qu’un esprit littéraire ayant quelque fierté s’en accommode aujourd’hui.

Cela me rappelle la théorie de Scribe. Comme un ami s’étonnait un jour des singulières paroles qu’il avait prêtées à un chœur de bergères, dans une pièce quelconque : « Nous sommes les bergères, vives et légères, etc. » il haussa les épaules de pitié. Sans doute, dans la réalité, les bergères ne parlaient pas ainsi ; seulement, il ne s’agissait pas de mettre des paroles exactes dans la bouche des bergères, il s’agissait de