Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/266

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de est en train de le remplacer. Ajoutez que nos désastres font en ce moment de l’armée une chose sacrée. Cela rend la position de poète-soldat absolument inexpugnable. Il est très difficile d’insinuer qu’il fait des vers médiocres, sans passer aussitôt pour un mauvais citoyen. On vous regarde, et on vous dit : « Monsieur, je crois que vous insultez l’armée ! »

Certes, M. Paul Deroulède fait bien mal les vers, mais il a de si beaux sentiments ! Ah ! les beaux sentiments, on ne se doute pas de ce qu’on peut en tirer, quand on sait les employer avec adresse. Ils sont une réponse à tout, ils sont « la tarte à la crème » de notre grand comique. « La pièce me paraît faible.—Mais l’honneur, Monsieur ! —Il n’y a pas d’action du tout.—Mais la patrie, Monsieur ! —L’intrigue recommence à chaque acte.—Mais le dévouement, Monsieur ! —Enfin, je m’ennuie.—Mais Dieu, Monsieur ! Vous osez dire que Dieu vous ennuie ! » Cette façon d’argumenter est sans réplique. Il est certain que l’honneur, la patrie, le dévouement et Dieu sont des preuves écrasantes du génie poétique de M. Paul Deroulède.

Et il faut voir le bonheur de la salle. Il y a bien quelques gredins parmi les spectateurs. Ceux-là applaudissent plus fort. C’est si bon de se croire honnête, de passer une soirée à manger de la vertu en tirades, quitte à reprendre le lendemain son petit négoce plus ou moins louche ! Qu’importe l’œuvre ! Il suffit que l’auteur jette des gâteaux de miel au public. Le public se donne une indigestion de flatteries. Il est grand, il est noble, il est honnête. C’est un attendrissement général. Pas de vices, à peine