Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/366

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d.

La féerie, telle qu’elle est comprise aujourd’hui, n’est plus qu’un spectacle pour les yeux. Il y a quelques cinquante ans, lors de la vogue du Pied de Mouton et des Pilules du Diable, une féerie ressemblait à un grand vaudeville mêlé de couplets, dans lequel les trucs jouaient la partie comique. Au lieu de palais ruisselant d’or et de pierreries, au lieu d’apothéoses balançant des femmes à demi nues dans des clartés de paradis, on voyait des hommes se changer en seringues gigantesques, des canards rôtis s’envoler sous la fourchette d’un affamé, des branches d’arbre donner des soufflets aux passants.

Mais ce genre de plaisanteries s’est démodé, l’ancienne féerie a semblé vieillotte et trop naïve. Alors, sans songer un instant à renouveler le genre par le dialogue, le mérite littéraire du texte, on a, au contraire, diminué de plus en plus le dialogue, réduit la pièce à être uniquement un prétexte aux splendeurs de la mise en scène. Rien de plus banal qu’un sujet de féerie. Il existe un plan accepté par tous les auteurs : deux amoureux dont l’amour est contrarié, qui ont pour eux un bon génie et contre eux un mauvais génie, et qu’on marie quand même au dénoûment, après les voyages les plus extravagants dans tous les pays imaginables. Ces voyages, en somme, sont la grande affaire, car ils permettent au décorateur de nous promener au fond de forêts enchantées, dans les grottes nacrées de la mer, à travers les royaumes inconnus et merveilleux des oiseaux, des poissons ou des reptiles. Quand les acteurs disent quelque chose, c’est uniquement pour donner le temps aux machinistes de poser un vaste décor, derrière la toile de fond.