Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/39

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monde du théâtre gratte et exaspère la vanité ! Il n’y a pas que les comédiens qui se haussent sur les planches et se donnent en continuel spectacle. Voilà les auteurs dramatiques gagnés par cette fièvre. Ils veulent être exceptionnels, ils ont des secrets comme les francs-maçons, ils lèvent les épaules de pitié quand un profane touche à leur art, ils déclarent modestement qu’ils ont un génie particulier ; mon Dieu ! oui, eux-mêmes ne sauraient dire pourquoi ils ont ce talent, c’est comme cela, c’est le ciel qui l’a voulu. On peut chercher à leur dérober leur secret ; peine inutile, le travail, qui mène à tout, ne mène pas à la science du théâtre. Et la critique moutonnière accrédite cette belle croyance-là, fait ce joli métier de décourager les travailleurs.

Voyons, il faudrait s’entendre. Dans tous les arts, le don est nécessaire. Le peintre qui n’est pas doué, ne fera jamais que des tableaux très médiocres ; de même le sculpteur, de même le musicien. Parmi la grande famille des écrivains, il naît des philosophes, des historiens, des critiques, des poètes, des romanciers ; je veux dire des hommes que leurs aptitudes personnelles poussent plutôt vers la philosophie, l’histoire, la critique, la poésie, le roman. Il y a là une vocation, comme dans les métiers manuels. Au théâtre aussi il faut le don, mais il ne le faut pas davantage que dans le roman, par exemple. Remarquez que la critique, toujours inconséquente, n’exige pas le don chez le romancier. Le commissionnaire du coin ferait un roman, que cela n’étonnerait personne ; il serait dans son droit. Mais, lorsque Balzac se risquait à écrire une pièce, c’était un soulèvement général ; il n’avait pas le droit de faire du théâtre,