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Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/400

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Molière, dans les larges et vivantes peintures de l’humanité. On ne veut pas comprendre que nous pataugeons aujourd’hui dans la boue des intrigues compliquées. Notre théâtre se relèvera le jour où l’analyse reprendra sa large place, où le personnage, au lieu d’être écrasé et de disparaître sous les faits, dominera l’action et la mènera.

Quel critique dramatique oserait dire à un débutant : « Lisez la Tour du Nesle », lorsqu’il peut lui dire : « Lisez Tartufe, lisez Hamlet. » Ce qui m’irrite, c’est cette passion du succès brutal et immédiat, c’est cette odieuse cuisine qui cache jusqu’à la vue des chefs-d’œuvre. On fait du théâtre une simple affaire de poncifs, lorsque les littératures des peuples sont là pour témoigner qu’il n’y a pas d’absolu dans l’art dramatique et que le talent peut tout y inventer. Chaque fois qu’on voudra vous enfermer dans un code en déclarant : « Ceci est du théâtre, ceci n’est pas du théâtre, » répondez carrément : « Le théâtre n’existe pas, il y a des théâtres, et je cherche le mien. »

Mais je trouve surtout, dans la Tour de Nesle, de bien curieuses remarques à faire au sujet de la moralité de la pièce. Vous savez quel rôle on fait jouer aujourd’hui à la moralité. Il faut qu’un drame soit moral, sans quoi il est foudroyé par les critiques vertueux. Or, il y a, dans la Tour de Nesle, le plus incroyable entassement d’infamies qu’on puisse rêver. Cela atteint presque à l’horreur des tragédies grecques. Je ne parle pas de ce passe-temps que prend une reine de France, à noyer tous les matins ses amants d’une nuit. Simple peccadille, lorsque l’on songe que la reine en question a fait assassiner son