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Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/402

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l’ont rendue acceptable. Au delà d’une certaine limite, lorsqu’il entre dans la fable, le mal est un plaisir dont la foule se régale. Mettez une bourgeoise qui trompe son mari un peu crûment, le public se fâchera, parce qu’il sentira que cela est vrai.

Un hasard a voulu que la Comédie-Française eût repris le Chandelier, juste une semaine avant la reprise de la Tour de Nesle. Eh bien ! l’adorable comédie d’Alfred de Musset a été froidement écoulée. Cela est un fait, et la critique, pour l’expliquer, a dû s’en prendre à la nouvelle distribution. On a trouvé Clavaroche insupportable de brutalité et de fatuité soldatesques. Fortunio a paru sournois et vicieux. Quant à Jacqueline, elle est sûrement une gredine de la pire espèce ; elle se donne sans amour, elle se prête à un jeu cruel et finit par changer d’amant comme on change de chemise. Quels personnages ! quelles mœurs !

Ah ! vraiment, c’est à faire saigner le cœur des honnêtes écrivains, ce public froid et scandalisé, qui affecte de ne pas comprendre ! Quoi de plus profondément humain que cette histoire, dont on trouverait les éléments dans notre vieille et franche littérature ! Une femme qui trompe son mari, qui abrite ses amours derrière la tendresse tremblante d’un petit clerc, et qui est vaincue à la fin par tant de jeunesse, de dévouement et de désespoir : n’est-ce pas le drame de la passion elle-même, avec une fraîcheur de printemps exquise ? Musset n’a jamais été plus railleur ni plus tendre ; il a touché là le fond des cœurs. Son œuvre a le frisson de la vie, le charme d’une analyse de poète. Chaque scène ouvre un monde. On ne sort pas du théâtre l’âme et la tête