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Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/57

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ridicules de ce protestantisme qui nous noie ?

J’ai dit un jour que notre théâtre se mourait d’une indigestion de morale. Rien de plus juste. Nos pièces sont petites, parce qu’au lieu d’être humaines, elles ont la prétention d’être honnêtes. Mettez donc la largeur philosophique de Shakespeare à côté du catéchisme d’honnêteté que nos auteurs dramatiques les plus célèbres se piquent d’enseigner à la foule. Comme c’est étroit, ces luttes d’un honneur faux sur des points qui devraient disparaître dans le grand cri douloureux de l’humanité souffrante ! Ce n’est pas vrai et ce n’est pas grand. Est-ce que nos énergies sont là ? est-ce que le labeur de notre grand siècle se trouve dans ces puérilités du cœur ? On appelle cela la morale ; non, ce n’est pas la morale, c’est un affadissement de toutes nos virilités, c’est un temps précieux perdu à des jeux de marionnettes.

La morale, je vais vous la dire. Toi, tu aimes cette jeune fille, qui est riche ; épouse-la si elle t’aime, et tire quelque grande chose de cette fortune. Toi, tu aimes ce jeune homme, qui est riche ; laisse-toi épouser, fais du bonheur. Toi, tu as un père qui a volé ; apprends l’existence, impose-toi au respect. Et tous, jetez-vous dans l’action, acceptez et décuplez la vie. Vivre, la morale est là uniquement, dans sa nécessité, dans sa grandeur. En dehors de la vie, du labeur continu de l’humanité, il n’y a que folies métaphysiques, que duperies et que misères. Refuser ce qui est, sous le prétexte que les réalités ne sont pas assez nobles, c’est se jeter dans la monstruosité de parti pris. Tout notre théâtre est monstrueux, parce qu’il est bâti en l’air.

Dernièrement, un auteur dramatique mettait cinquante