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Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/58

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pages à me prouver triomphalement que le public entassé dans une salle de spectacle avait des idées particulières et arrêtées sur toutes choses. Hélas ! je le sais, puisque c’est contre cet étrange phénomène que je combats. Quelle intéressante étude on pourrait faire sur la transformation qui s’opère chez un homme, dès qu’il est entré dans une salle de spectacle ! Le voilà sur le trottoir : il traitera de sot tout ami qui viendra lui raconter la rupture de son mariage avec une demoiselle riche, en lui soumettant les scrupules de sa conscience ; il serrera avec affection la main d’un charmant garçon, dont le père s’est enrichi en nourrissant nos soldats de vivres avariés. Puis, il entre dans le théâtre, et il écoute pendant trois heures avec attendrissement le duo désolé de deux amants que la fortune sépare, ou il partage l’indignation et le désespoir d’un fils forcé d’hériter à la mort d’un père trop millionnaire. Que s’est-il donc passé ? Une chose bien simple : ce spectateur, sorti de la vie, est tombé dans la convention.

On dit que cela est bon et que d’ailleurs cela est fatal. Non cela ne saurait être bon, car tout mensonge, même noble, ne peut que pervertir. Il n’est pas bon de désespérer les cœurs par la peinture de sentiments trop raffinés, radicalement faux d’ailleurs dans leur exagération presque maladive. Cela devient une religion, avec ses détraquements, ses abus de ferveur dévote. Le mysticisme de l’honneur peut faire des victimes, comme toute crise purement cérébrale. Et il n’est pas vrai davantage que cela soit fatal. Je vois bien la convention exister, mais rien ne dit qu’elle est immuable, tout démontre au contraire qu’elle