Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/66

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le critique n’est plus qu’un reporter ; autant le remplacer par un télégraphe qui irait plus vite. Peu à peu, les comptes rendus deviendront de simples bulletins. On flatte la seule curiosité du public, on l’excite et on la contente. Quant à son goût, il ne compte plus ; on a supprimé les virtuoses pour confier leur besogne à des journalistes qui acceptent volontiers de traiter le Théâtre comme ils traiteraient la Bourse ou les Tribunaux, en mauvais style. Nous marchons au mépris de toute littérature. Il y a deux ou trois journaux, sur le pavé de Paris, qui sont coupables d’avoir transformé les lettres en un marché honteux où l’on trafique sur les nouvelles. Quand la marée arrive, c’est à qui vendra la raie la plus fraîche. Et que de raies pourries on passe dans le tas !

Comme il faut être de son temps, j’accepterais encore cette rapidité de l’information qui est devenue un besoin. Mais, puisqu’on a mis les phrases à la porte, on devrait au moins rejeter les banalités, condenser en quelques lignes des jugements motivés, d’une rectitude absolue. Pour cela, il faudrait que la critique eût une méthode et sût où elle va. Sans doute, on doit tolérer les tempéraments, les façons diverses de voir, les écoles littéraires qui se combattent. Le corps des critiques dramatiques ne peut ressembler à un corps de troupe qui fait l’exercice. Même l’intérêt de la besogne est dans la passion. Si l’on ne se jetait pas ses préférences à la tête, où serait le plaisir, pour les juges et pour les lecteurs ? Seulement, la passion elle-même est absente, et le pêle-mêle des opinions vient uniquement du manque complet de vues d’ensemble.