Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il est vrai qu’à part deux ou trois acteurs, les autres étaient bien médiocres. Mais l’Angleterre pourrait nous envoyer ses meilleurs comédiens, je crois que Paris se dérangerait difficilement pour aller les voir. Rappelez-vous les maigres recettes réalisées par Salvini. Pour nous, les théâtres étrangers n’existent pas, et nous sommes portés à nous égayer de ce qui n’est point dans le génie de notre race. Les Anglais viennent donc de nous donner un exemple de goût littéraire, soit que notre répertoire et nos comédiens leur plaisent réellement, soit qu’ils aient voulu simplement montrer de la politesse pour la littérature d’un grand peuple voisin.

Est ce bien, à la vérité, un goût littéraire qui a empli chaque soir la salle du Gaiety’s Théâtre ? C’est ici que des documents exacts seraient nécessaires. Mais, avant d’étudier ce point, je dois dire que je n’ai jamais compris la querelle qu’on a cherchée à la Comédie-Française, lorsqu’il a été question de son voyage à Londres. J’ai lu là-dessus des articles d’une fureur bien étrange. Les plus doux accusaient nos artistes de cupidité et leur déniaient le droit de passer la Manche. D’autres prévoyaient un naufrage et se lamentaient. Avouez que cela paraît comique aujourd’hui. Une seule chose était à craindre : l’insuccès, des salles vides, une diminution de prestige. Mais, là-dessus, on pouvait être tranquille ; les recettes étaient quand même assurées, ce qui suffisait ; car, pour le véritable effet produit par les œuvres et par les interprètes, il était à l’avance certain, je le répète, qu’on ne saurait jamais exactement à quoi s’en tenir. Les journaux anglais ont été courtois, et nos journaux français se sont montrés patriotes. Dès lors, la Comédie-Française avait mille fois raison de se risquer ;