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Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/81

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J’ai lu près d’une cinquantaine de romans anglais écrits dans ces dernières années. Cela est au-dessous de tout. Je parle de romans signés par des écrivains qui ont la vogue. Certainement, nos feuilletonistes, dont nous faisons fi, ont plus d’imagination et de largeur. Dans les romans anglais, la même intrigue, une bigamie, ou bien un enfant perdu et retrouvé, ou encore les souffrances d’une institutrice, d’une créature sympathique quelconque, est le fond en quelque sorte hiératique dont pas un romancier ne s’écarte. Ce sont des contes du chanoine Schmidt, démesurément grossis et destinés à être lus en famille. Quand un écrivain a le malheur de sortir du moule, on le conspue. Je viens, par exemple, de lire la Chaîne du Diable, un roman que M. Edouard Jenkins a écrit contre l’ivrognerie anglaise ; comme œuvre d’observation et d’art, c’est bien médiocre ; mais il a suffi qu’il dise quelques vérités sur les vices anglais, pour qu’on l’accablât de gros mots. Depuis Dickens, aucun romancier puissant et original ne s’est révélé. Et que de choses j’aurais à dire sur Dickens, si vibrant et si intense comme évocateur de la vie extérieure, mais si pauvre comme analyste de l’homme et comme compilateur de documents humains !

Quant au théâtre anglais actuel, il existe à peine, de l’avis de tous. Nous n’avons jamais eu l’idée, à part deux ou trois exceptions, de faire des emprunts à ce théâtre ; tandis que Londres vit en partie d’adaptations faites d’après nos pièces. Et le pis est que le théâtre est là-bas plus châtré encore que le roman. Les Anglais, à la scène, ne tolèrent plus la moindre étude humaine un peu sérieuse. Ils tournent tout à la romance, à une certaine honnêteté conventionnelle.