Page:Zola - Le Roman expérimental, 1902.djvu/41

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expérimentons sur une plaie grave qui empoisonne la société, nous procédons comme le médecin expérimentateur, nous tâchons de trouver le déterminisme simple initial, pour arriver ensuite au déterminisme complexe dont l'action a suivi. Je reprends l'exemple du baron Hulot, dans la Cousine Bette. Voyez le résultat final, le dénouement du roman; une famille entière détruite, toutes sortes de drames secondaires se produisant, sous l'action du tempérament amoureux de Hulot. C'est là, dans ce tempérament, que se trouve le déterminisme initial. Un membre, Hulot, se gangrène, et aussitôt tout se gâte autour de lui, le circulus social se détraque, la santé de la société se trouve compromise. Aussi, comme Balzac a insisté sur la figure du baron Hulot, comme il l'a analysée avec un soin scrupuleux! L'expérience porte avant tout sur lui, parce qu'il s'agissait de se rendre maître du phénomène de cette passion pour la diriger; admettez qu'on puisse guérir Hulot, ou du moins le contenir et le rendre inoffensif, tout de suite le drame n'a plus de raison d'être, on rétablit l'équilibre, ou pour mieux dire la santé dans le corps social. Donc, les romanciers naturalistes sont bien en effet des moralistes expérimentateurs.

Et j'arrive ainsi au gros reproche dont on croit accabler les romanciers naturalistes en les traitant de fatalistes. Que de fois on a voulu nous prouver que, du moment où nous n'acceptions pas le libre arbitre, du moment où l'homme n'était plus pour nous qu'une machine animale agissant sous l'influence de l'hérédité et des milieux, nous tombions à un fatalisme grossier, nous ravalions l'humanité au rang d'un troupeau marchant sous le bâton de la destinée!