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Page:Zola - Le Roman expérimental, 1902.djvu/43

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pas à tirer une conclusion de nos œuvres, et cela signifie que nos œuvres portent leur conclusion en elles. Un expérimentateur n'a pas à conclure, parce que, justement, l'expérience conclut pour lui. Cent fois, s'il le faut, il répétera l'expérience devant le public, il l'expliquera, mais il n'aura ni à s'indigner, ni à approuver personnellement: telle est la vérité, tel est le mécanisme des phénomènes; c'est à la société de produire toujours ou de ne plus produire ce phénomène, si le résultat en est utile ou dangereux. On ne conçoit pas, je l'ai dit ailleurs, un savant se fâchant contre l'azote, parce que l'azote est impropre à la vie; il supprime l'azote, quand il est nuisible, et pas davantage. Comme notre pouvoir n'est pas le même que celui de ce savant, comme nous sommes des expérimentateurs sans être des praticiens, nous devons nous contenter de chercher le déterminisme des phénomènes sociaux, en laissant aux législateurs, aux hommes d'application, le soin de diriger tôt ou tard ces phénomènes, de façon à développer les bons et à réduire les mauvais, au point de vue de l'utilité humaine.

Je résume notre rôle de moralistes expérimentateurs. Nous montrons le mécanisme de l'utile et du nuisible, nous dégageons le déterminisme des phénomènes humains et sociaux, pour qu'on puisse un jour dominer et diriger ces phénomènes. En un mot, nous travaillons avec tout le siècle à la grande œuvre qui est la conquête de la nature, la puissance de l'homme décuplée. Et voyez à côté de la nôtre, la besogne des écrivains idéalistes, qui s'appuient sur l'irrationnel et le surnaturel, et dont chaque élan est suivi d'une chute profonde dans le chaos métaphysique.