Page:Zola - Le Roman expérimental, 1902.djvu/62

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car il reste ensuite à faire jouer le vrai mécanisme de ces sentiments. Nous n'avons pas épuisé notre matière, lorsque nous avons peint la colère, l'avarice, l'amour; toute la nature et tout l'homme nous appartiennent, non seulement dans leurs phénomènes mais dans les causes de ces phénomènes. Je sais bien que c'est là un champ immense dont on a voulu nous barrer l'entrée; mais nous avons rompu les barrières et nous y triomphons maintenant. C'est pourquoi je n'accepte pas les paroles suivantes de Claude Bernard: «Pour les arts et les lettres, la personnalité domine tout. Il s'agit là d'une création spontanée de l'esprit et cela n'a plus rien de commun avec la constatation des phénomènes naturels, dans lesquels notre esprit ne doit rien créer.» Je surprends ici un des savants les plus illustres dans ce besoin de refuser aux autres l'entrée du domaine scientifique. Je ne sais de quelles lettres il veut parler, lorsqu'il définit une œuvre littéraire. «Une création spontanée de l'esprit, qui n'a rien de commun avec la constatation des phénomènes naturels.» Sans doute, il songe à la poésie lyrique, car il n'aurait pas écrit la phrase en pensant au roman expérimental, aux œuvres de Balzac et de Stendhal. Je ne puis que répéter ce que j'ai dit: si nous mettons la forme, le style à part, le romancier expérimentateur n'est plus qu'un savant spécial, qui emploie l'outil des autres savants, l'observation et l'analyse. Notre domaine est le même que celui du physiologiste, si ce n'est qu'il est plus vaste. Nous opérons comme lui sur l'homme, car tout fait croire, et Claude Bernard le reconnaît lui-même, que les phénomènes cérébraux peuvent être déterminés comme les autres phénomènes. Il est vrai que Claude Bernard