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Page:Zola - Le Roman expérimental, 1902.djvu/63

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peut nous dire que nous flottons en pleine hypothèse; mais il serait mal venu à conclure de là que nous n'arriverons jamais à la vérité, car il s'est battu toute sa vie pour faire une science de la médecine, que la très grande majorité de ses confrères regardent comme un art.

Définissons maintenant avec netteté le romancier expérimentateur. Claude Bernard donne de l'artiste la définition suivante: «Qu'est-ce qu'un artiste? C'est un homme qui réalise dans une œuvre d'art une idée ou un sentiment qui lui est personnel.» Je repousse absolument cette définition. Ainsi, dans le cas où je représenterais un homme qui marcherait la tête en bas, j'aurais fait une œuvre d'art, si tel était mon sentiment personnel. Je serais un fou, pas davantage. Il faut donc ajouter que le sentiment personnel de l'artiste reste soumis au contrôle de la vérité. Nous arrivons ainsi à l'hypothèse. L'artiste part du même point que le savant; il se place devant la nature, a une idée à priori et travaille d'après cette idée. Là seulement il se sépare du savant, s'il mène son idée jusqu'au bout, sans en vérifier l'exactitude par l'observation et l'expérience. On pourrait appeler artistes expérimentateurs ceux qui tiendraient compte de l'expérience; mais on dirait alors qu'ils ne sont plus des artistes, du moment où l'on considère l'art comme la somme d'erreur personnelle que l'artiste met dans son étude de la nature. J'ai constaté que, selon moi, la personnalité de l'écrivain ne saurait être que dans l'idée à priori et que dans la forme. Elle ne peut se trouver dans l'entêtement du faux. Je veux bien encore qu'elle soit dans l'hypothèse, mais ici il faut s'entendre.