Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/122

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Il prononça ces mots avec toute l’indignation d’un honnête homme. Lorsque le calme se fut un peu rétabli, il ajouta :

« Voici l’histoire... Monier, un marchand de grains, un homme solvable, sur lequel j’ai eu les meilleurs renseignements, est venu me demander douze mille francs. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas les lui prêter, mais que je connaissais un vieux ladre qui les lui avancerait peut-être, à un prix exorbitant. Il revint le lendemain et me dit qu’il était prêt à passer par toutes les conditions. Je lui fis observer qu’on exigeait cinq mille francs d’intérêts pour six mois. Il accepta. Vous voyez que c’était une affaire d’or... Pendant que j’allais chercher les fonds, il se mit à mon bureau et souscrivit dix-sept billets de mille francs chacun. Je pris connaissance des effets et je les posai sur le coin de ce pupitre. Puis, je causai quelques minutes avec Monier, qui s’était levé et qui, après avoir empoché l’argent, se disposait à partir... Quand il se fut éloigné, je voulus serrer ses billets. Je pris les papiers... Imaginez vous que le fripon avait changé les effets contre un paquet tout semblable de traites dérisoires, barbouillées d’encre, à l’ordre de je ne sais qui, sans signature... J’étais volé. J’ai failli avoir un coup de sang, j’ai couru après mon voleur qui se promenait tranquillement au soleil, sur le Cours... Au premier mot que je lui adressai, il me traita d’usurier et me menaça de me mener chez le commissaire de police. Ce Monier a une réputation d’homme intègre et loyal, et, ma foi, j’ai préféré me taire. »

Ce récit avait été interrompu plusieurs fois par les observations irritées de l’auditoire.

« Avouez Rostand, que vous avez manqué d’énergie, reprit la voix enrouée. Enfin, nous perdons notre argent, nous n’aurons que le cinquante-cinq pour cent... Une autre fois vous veillerez mieux à nos intérêts... Maintenant, partageons. »

Marius, malgré ses angoisses et son indignation, ne