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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/123

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put réprimer un sourire. Le vol de ce Monier lui parut de la haute comédie, et, tout au fond de lui, il applaudissait le fripon qui avait dupé un fripon.

À cette heure, il savait quel métier faisait Rostand. Il n’avait pas perdu un mot de ce qui se disait dans la pièce voisine, et il s’imaginait aisément la scène telle qu’elle devait s’y passer. Renversé à demi sur sa chaise, l’oreille tendue, il voyait des yeux de l’intelligence les usuriers se querellant, les regards avides, la face contractée par les passions mauvaises qui les agitaient.

Il éprouva une sorte de gaieté amère lorsqu’il se rappela ce qu’il venait faire dans ce coupe-gorge. Quelle naïveté, bon Dieu ! C’est là qu’il croyait trouver les quinze mille francs qui devaient sauver Philippe, et il attendait depuis une heure pour que le banquier le mît à la porte comme un mendiant. Ou bien Rostand lui demanderait cinquante pour cent d’intérêt et le volerait avec impudence. À cette pensée, à la pensée que là, près de lui, se trouvait une réunion de coquins qui exploitaient les misères et les hontes d’une ville, il se leva brusquement et posa la main sur le bouton de la porte.

Dans la pièce, on entendait un bruit clair de pièces d’or. Les usuriers partageaient leur proie. Ils touchaient chacun un mois de duperies. Cet argent, qu’ils comptaient et dont la musique chatouillait voluptueusement leur chair, avait par instants des éclats de sanglots. Au milieu d’un silence frissonnant, la voix du banquier ne prononçait plus que des chiffres avec une sécheresse métallique. Il taillait la part à chacun de ses associés, il disait un chiffre et laissait tomber une pile de pièces qui sonnaient.

Alors, Marius tourna le bouton de la porte. La face pâle, les regards fermes, il resta quelques secondes silencieux sur le seuil.

Le jeune homme avait sous les yeux un spectacle étrange. Rostand était debout devant son bureau, derrière lui, se trouvait un coffre-fort ouvert, où il puisait des poignées d’or. Autour du bureau, assis en cercle, se