Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/158

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la dette augmentait, sans que l’usurière fît de nouveaux prêts, et plus la créance vieillissait, plus elle devenait obscure. La jeune femme se sentait perdue au fond d’un chaos.

L’usurière gardait ses allures éplorées et câlines. Quand elle fournissait l’argent elle-même pour qu’Armande pût la payer, elle lui faisait sentir tout son dévouement, tout l’héroïsme de sa conduite.

« Hein ? vous n’avez jamais vu une créancière comme moi, disait-elle. Je vais jusqu’à emprunter l’argent dont vous avez besoin. C’est beau, cela !

– Mais, répondait Armande, c’est pour vous que vous empruntez cet argent, puisque je vous le donne.

– Pas du tout, reprenait la vieille. Je cherche uniquement à vous rendre service. »

Mme Mercier s’introduisit ainsi peu à peu dans la maison. Tous les deux ou trois jours, elle venait y montrer sa face rusée et attendrie. Armande devint sa propriété, son esclave. Tantôt elle accourait, se laissait aller avec désespoir sur une chaise, et accusait la jeune femme de vouloir se sauver sans la payer ; il fallait qu’on lui fît visiter l’appartement pour lui montrer que les malles n’étaient pas faites. Tantôt elle sonnait violemment, elle se disait volée, elle reprochait ses dépenses à la lorette, elle comparait sa vie à la sienne, elle lui reprochait d’être insolvable et criblée de dettes, et finissait en demandant de nouvelles garanties.

D’autres fois, elle venait brusquement réclamer de l’argent, puis elle s’adoucissait, elle pleurait misère, et elle s’en allait en traînant les pieds d’une façon lamentable. Chacune de ses visites était accompagnée d’un déluge de pleurs. Elle avait les larmes faciles et abusait de cet avantage pour embarrasser les gens.

Elle faisait suivre chaque plainte d’un sanglot, se tortillait pitoyablement sur sa chaise, prononçait d’une voix dolente les moindres paroles. Armande, lasse et ahurie, restait d’ordinaire devant elle sans trouver une parole. Par moments, elle lui aurait tout abandonné,