Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/159

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son linge, ses robes, son mobilier, pour être débarrassée de ses lamentations continuelles.

L’usurière avait inventé un autre genre d’exploitation. Parfois, elle arrivait, les yeux rouges, déclarant qu’elle n’avait pas de pain, qu’elle se mourait. La jeune femme, agacée, énervée, lui disait de s’asseoir et de manger. D’autres fois, la vieille versait des ruisseaux de larmes pour avoir du sucre ou du café ou de l’eau-de-vie.

« Hélas ! chère dame, pleurnichait-elle, je suis bien malheureuse. Ce matin, j’ai dû prendre mon café sans sucre, et, demain, je n’aurai ni sucre ni café. Soyez charitable... C’est vous qui me mettez ainsi sur la paille ; si vous me donniez mon argent, je ne serais pas forcée de venir mendier... Par grâce, donnez-moi quelques livres de café et de sucre. Ça comptera pour tous les services que je vous ai rendus. »

Armande n’osait refuser. Elle dépensait ses derniers sous tremblante devant certains regards fauves et railleurs de sa créancière. Si elle déclarait qu’elle n’avait pas d’argent :

« C’est bien, répondait l’usurière, je vais présenter à votre amant le billet que vous m’avez remis... »

L’autre ne la laissait pas achever. Elle envoyait vendre quelque chose et lui achetait ce qu’elle désirait. La malheureuse fille fermait les yeux pour ne pas voir le gouffre creusé devant elle. Elle appartenait à cette femme qui tenait entre ses mains des preuves terribles contre elle, et elle lui obéissait, sourdement irritée, se demandant avec désespoir par quels moyens elle pourrait s’échapper de ses griffes.

Pendant près de deux ans, Mme Mercier pleura et tira d’Armande tout ce qu’elle put. Elle ne s’en allait jamais les mains vides.

L’argent qu’elle avait prêté lui rapportait déjà le deux cent cinquante pour cent. Si le capital se trouvait compromis, les intérêts couvraient deux ou trois fois la somme. Un jour, l’usurière comprit qu’elle