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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/161

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lamentant d’un ton traînard, comme à l’ordinaire.

« Par grâce, lui dit-elle, effrayée, parlez plus bas. J’ai du monde... Vous savez combien ma position est embarrassée. Accordez-moi quelques jours.

Mme Mercier eut un geste brusque. Elle se dressait sur la pointe des pieds, elle parlait dans le visage de la lorette :

« Qu’est-ce que ça me fiche à moi que vous ayez du monde ? reprit-elle sans baisser le ton. Je veux être payée, et tout de suite !... Madame porte des chapeaux, madame va au Château-des-Fleurs, madame a des amants qui lui donnent mille jouissances... Est-ce que j’en ai, moi, des amants ?... Je me prive, je mange du pain sec et bois de l’eau, tandis que vous vous gorgez de bonnes choses. Cela ne peut pas durer. Il me faut mon argent, ou je vous mènerai quelque part... Vous savez où, n’est-ce pas ? »

Elle accompagna ces mots d’un coup d’œil menaçant. Armande devint pâle.

« Ah ! cela vous chiffonne, continua la vieille en ricanant. Vous m’avez donc prise pour une imbécile ! Si j’ai fait la bête, c’est que je l’ai bien voulu, c’est que sans doute j’avais intérêt à le faire. »

Elle se mit à rire en haussant les épaules. Puis, elle ajouta violemment :

« Si vous ne me payez pas ce soir, j’écris demain au procureur du roi.

– Je ne sais ce que vous voulez dire » balbutia Armande.

L’usurière s’était assise. Elle se sentait maîtresse de la position, elle voulait se donner la volupté de jouer un moment avec sa proie.

« Ah ! vous ne savez pas ce que je veux dire, lorsque je vous parle du procureur du roi, dit-elle en faisant une affreuse grimace, comme prise d’une gaieté soudaine. Mais vous mentez, ma bonne dame ! Regardez-vous donc dans cette glace : vous êtes toute blême... Avouez que vous êtes une coquine. »