Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/204

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Fine, depuis quelque temps avait des sourires sournois que Marius ne voyait pas. Elle devinait que le jeune homme l’aimait, avant même que celui-ci se fût aperçu de son amour. Les femmes ont une vue particulière pour pénétrer ces sortes de secrets ; elles lisent dans les yeux de leurs amants et vont jusqu’à l’âme. D’ailleurs, la bouquetière cacha soigneusement les rougeurs de ses joues, elle s’étudia à rester l’amie cordiale de Marius, à ne pas lui ouvrir les yeux par une poignée de main plus chaude. À les voir, chaque soir, assis en face l’un de l’autre, ayant entre eux une table chargée de roses, on les aurait pris pour un frère et une sœur.

Fine, chaque dimanche, se rendait à Saint-Henri. Elle s’était prise pour Blanche d’une sorte de pitié sympathique, d’une amitié miséricordieuse. Cette pauvre jeune fille qui allait être mère, et dont la vie était brisée à jamais, lui devenait plus chère chaque jour, elle voyait ses remords, ses larmes de regret, elle assistait à son existence désolée, et elle cherchait par ses visites à adoucir son infortune. Elle apportait son gai sourire dans cette petite maison de la côte, où Blanche pleurait en songeant à Philippe et à son enfant. C’était pour la bouquetière comme un saint pèlerinage qu’elle accomplissait religieusement. Elle partait vers midi, après le déjeuner, puis restait jusqu’au soir avec Mlle de Cazalis. Le soir, à la nuit tombante, elle trouvait Marius qui l’attendait au bord de la mer, et ils rentraient tous deux à Marseille, à pied, en se donnant le bras, comme deux jeunes époux.

Marius goûtait des jouissances pures pendant ces promenades. Le dimanche soir était devenu pour lui la récompense de tous ses efforts de la semaine. Il attendait Fine sur le bord de la mer, oubliant ses chagrins, guettant avec fièvre l’arrivée de la jeune fille, puis, quand elle était là, ils se souriaient et revenaient à petits pas, dans les ombres douces de la nuit naissante, en échangeant des paroles d’amitié et d’espoir. Jamais le jeune homme ne trouvait le chemin assez long.