Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/224

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pouvaient être introduits dans un cercle, et que les membres seuls, ayant payé une cotisation, avaient le droit d’y jouer ?

– Oui, oui, vous avez raison, répondit Sauvaire en riant, les membres seuls ont le droit de jouer... Seulement ceux qui n’en ont pas le droit, les étrangers, sont souvent en plus grand nombre autour du tapis vert, et jouent plus gros jeu que les membres... Comprenez-vous ? »

Ce fut Marius qui reprit le bras de Sauvaire. Ils firent quelques pas en silence, puis le jeune homme demanda à son compagnon d’une voix étranglée :

« Pouvez-vous me conduire ce soir au cercle Corneille ?

– Bravo ! s’écria le maître portefaix. Nous allons rire. Je vois que vous commencez à comprendre la vie. Voyez-vous, le vin, le jeu, les belles, je ne sors pas de là, moi. Quand je vous ai vu si pâle, je me suis dit : voilà un gaillard qu’il faut lancer. Tâchez de gagner de l’argent, prenez vite une maîtresse, et vous engraisserez, que diable !... Certes, je vous mènerai ce soir au cercle Corneille et je vous ferai connaître Clairon. »

Marius eut un mouvement d’impatience. Il se souciait bien de Clairon ! Une idée fixe battait dans sa tête. Puisqu’on pouvait gagner seize mille francs au jeu, en deux nuits, il voulait tenter la fortune et demander au hasard la rançon de Philippe. Et il se disait que le Ciel le protégerait, qu’il sortirait du cercle les mains pleines d’or.

Il s’était fait comme un détraquement dans son intelligence droite et saine. Sous les coups répétés du malheur, l’esprit de sagesse qui était en lui venait de se voiler. Tout l’accablait. L’abbé Chastanier, en lui apprenant les nouvelles démarches de M. de Cazalis, lui avait porté le premier coup. Puis, l’exposition de Douglas, ce spectacle terrible, avait achevé de le troubler, de le rendre fou, en étalant sous ses yeux le châtiment ignoble réservé à son frère. À cette heure, il