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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/223

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« Je me charge de vous, s’écria-t-il, je vais vous lancer de la belle façon. Je veux que dans huit jours vous soyez presque aussi gai que moi... Je mange dans les meilleurs restaurants ; j’ai pour maîtresses les plus jolies femmes de Marseille, et vous voyez, je me promène tout le jour... Voilà une belle vie ! »

Il s’arrêta, il se planta brusquement devant Marius, en se croisant les bras. Il reprit :

« Savez-vous à quelle heure je me suis couché ?... À trois heures du matin !... Et savez-vous où j’ai passé la nuit ?... Au cercle Corneille, où l’on jouait un jeu d’enfer... Imaginez-vous qu’il y avait là deux créatures ravissantes, des femmes qui avaient des robes de velours, avec des bijoux, avec des dentelles, avec des choses si chères, qu’on n’ose pas les toucher du bout des doigts... Clairon, une petite brune, a gagné plus de cinq mille francs. »

Marius leva vivement la tête.

« Ah ! dit-il d’une voix étrange, on peut gagner cinq mille francs dans une nuit ? »

Sauvaire éclata de rire.

« Bon Dieu ! que vous êtes naïf ! J’ai vu gagner des sommes plus fortes. Il y a des gens qui ont de la chance... L’année dernière, j’ai connu un jeune homme qui a gagné seize mille francs en deux nuits... Il entre au cercle avec moi, il n’avait pas un sou sur lui. Je lui prête cinq francs, et, le surlendemain, il possédait seize beaux mille francs... Nous avons mangé cela ensemble. Seigneur ! me suis-je amusé pendant un mois ! »

Des lueurs rouges passaient sur le visage de Marius. Il se sentait envahi par un frisson qui montait et lui brûlait la poitrine. Jamais il n’avait éprouvé une émotion si poignante.

« Il faut faire partie d’un cercle, pour jouer? » demanda-t-il.

Le maître portefaix sourit et cligna les yeux d’un air d’intelligence, en haussant les épaules.

« Je croyais, reprit Marius, que les étrangers ne