Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/228

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jeune, il veut jouir de la vie ; comme il est demeuré enfermé pendant plusieurs heures, il a besoin, le soir, de plaisirs bruyants, d’émotions fortes. Alors il jette son argent dans les restaurants, dans les cafés sur les tapis verts ; il dépense cet argent aussi facilement qu’il l’a gagné. Une ville commerciale est donc forcément joueuse et débauchée. Dans ce grand ruissellement des fortunes, dans ce souple brûlant du négoce qui pénètre au fond de toutes les maisons, il y a des heures de folie, des besoins impérieux de jouissance. À de certaines heures, ce peuple est aveuglé par l’éclat de l’or ; il se rue dans la débauche comme il s’était rué dans les affaires. Et la fièvre secoue la ville d’un bout à l’autre, les petits et les grands, les riches et les pauvres, sont agités du même frisson, du même besoin de perdre ou de gagner de l’or, jusqu’à la ruine ou jusqu’au million.

On comprend l’existence, j’allais dire la nécessité des tripots dans Marseille. Dernièrement, on comptait plus de cent tripots, et le nombre augmente tous les jours. La police est vaincue par la rage des joueurs. Lorsqu’on découvre et qu’on ferme une maison de jeu, il s’en ouvre deux autres à côté. Pour couper le mal dans sa racine, il faudrait couper la fièvre qui agite toute la population. D’ailleurs, à mon sens, le mal est irrémédiable : on peut tuer l’homme, mais on ne tue pas ses passions.

La police, qui a une action directe sur les tripots, ferme tous ceux qu’elle peut découvrir. Mais son action devient difficile à exercer dans les cercles qui, parfois, se changent en de véritables maisons de jeu. Les joueurs sont inventifs, pour contenter leur passion ; ils tâchent de mettre la loi de leur côté. Ici, entendons-nous, dans ce que je vais dire, je n’ai nullement la pensée d’attaquer certains cercles honorables de Marseille, je veux seulement me faire l’historiographe de ces cercles honteux, fréquentés par des escrocs et que le sang d’un suicide a parfois souillés affreusement.