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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/230

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empêche de contenter leurs passions. Ils voient autour d’eux les gens riches se vautrer dans les jouissances, avoir des maîtresses s’étaler dans des voitures, épuiser les joies bruyantes de la vie, une jalousie les prend, ils ont l’âpre désir de mener une pareille existence de fêtes et de plaisirs. Alors, pour se procurer de l’argent, ils jouent, ils jouent d’abord leurs appointements ; puis, quand la chance leur est contraire, ils volent leurs patrons, ils entrent dans le crime.

Ce sont encore des jeunes gens, de pauvres garçons naïfs, tout frais sortis du collège, que dépouillent d’habiles fripons. S’ils gagnent, ils se jettent à la débauche ; s’ils perdent, ils font des dettes, ils souscrivent des billets à des usuriers, et ils mangent leur bien en herbe.

On racontait dernièrement une histoire caractéristique. Un employé, qui avait reçu de son patron quelques milliers de francs pour aller payer à la douane le droit d’entrée de certaines marchandises, se rendit le soir dans un cercle et perdit au baccarat l’argent qui lui avait été confié. Ce fut la folie d’un instant, l’employé était un honnête garçon qui avait eu un accès de fièvre. Le patron menaça de porter plainte. À cette nouvelle, les membres du cercle s’assemblèrent et décidèrent qu’ils rembourseraient eux-mêmes au patron la somme détournée par le commis. Lorsqu’ils eurent payé, le commis signa un billet à l’ordre du caissier du cercle, et le caissier n’a jamais poursuivi le paiement de ce billet, que le pauvre employé n’a pas pu payer.

Cette bienveillance des joueurs n’est-elle pas un aveu ? Ils ont compris qu’ils étaient tous coupables solidairement du détournement commis, et ils ont étouffé l’affaire pour que la justice ne vînt pas les déranger dans l’assouvissement de leur passion.

C’est dans ce monde frappé de folie, au milieu de ces joueurs fiévreux, que Sauvaire introduisit Marius.