Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/248

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francs qui étaient devant lui. La mare s’élargissait peu à peu, et maintenant les pièces d’or semblaient nager dans un flot sanglant.

Dans la salle, il ne restait que le cadavre et les deux filles. Sauvaire avait été un des premiers à fuir. Lorsque Clairon et Isnarde se virent seules, elles s’approchèrent de la table. L’or qui luisait dans le sang les attirait.

« Partageons, dit Isnarde.

– Oui, dépêchons-nous, répondit Clairon, il est inutile que la police ramasse cet argent. »

Et toutes deux prirent une poignée d’or, au milieu de la mare rougeâtre. Les pièces tachées de sang disparurent dans leur poche. Elles s’essuyèrent les doigts avec leur mouchoir, et s’enfuirent à leur tour, haletantes, croyant entendre derrière elles la voix du commissaire de police.

Il était trois heures du matin. De larges souffles de vent poussaient de grands nuages sombres qui tachaient de noir le ciel gris. Une sorte de brouillard flottait dans l’air et tombait en pluie fine et glaciale. Rien n’est plus morne que ces heures matinales dans une grande ville : les rues sont sales, les maisons se découpent en silhouettes tristes.

Marius courait comme un fou au milieu des rues silencieuses et désertes. Il glissait sur les pavés gras, mettait les pieds dans les ruisseaux, se heurtait aux angles des trottoirs. Et il courait toujours, les bras en avant, secouant ses mains avec une rage furieuse.

Il lui semblait que les éclaboussures de sang tombées sur ses doigts lui brûlaient la chair. Cette souffrance devenait physique, tant son imagination avait été frappée par l’horrible spectacle qui s’était passé sous ses yeux. Et il courait, chancelant, frissonnant, ayant une idée fixe qui le poussait. Il voulait aller tremper ses mains dans la mer et les laver avec toute l’eau des océans. Là seulement il pourrait apaiser la terrible brûlure qui le dévorait.