Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/247

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la tête pendante. Après avoir traversé le cou, la balle était sortie à droite, au-dessous de l’oreille ; il y avait là un trou rouge, qui laissait échapper un filet de sang. Une mare se forma sur le tapis vert, et, dans cette mare, trempait les cartes abandonnées.

Des paroles effrayées, dites à voix basse, couraient parmi les joueurs.

« Connaissez-vous ce malheureux ?

– C’est, je crois, un garçon de recette de la maison Lambert et Compagnie.

– Sa famille est honorable. Son frère a acheté une étude d’avoué, il n’y a pas six mois.

– Il aura détourné une somme importante et se sera tué, après l’avoir perdue.

– En tout cas, il aurait bien dû se tirer son coup de pistolet ailleurs... Dans vingt minutes, la police arrivera et fermera le cercle.

– Ces gens qui ont la manie de se tuer sont assommants... On était bien ici, on jouait à l’aise. Maintenant, il faut déménager.

– On est allé prévenir le commissaire de police ?

– Oui.

– Je me sauve. »

Ce fut une fuite générale. Les joueurs prirent leur chapeau et se glissèrent prudemment dans l’escalier. On les entendit se heurter aux marches, comme des hommes ivres.

Marius était resté assis, à côté du cadavre. Il se trouvait frappé d’immobilité. D’un air stupide, il regardait le cou rouge du suicidé et les éclaboussures qui couvraient ses mains. Les cheveux se dressaient sur sa tête, des lueurs de folie passaient dans ses yeux démesurément ouverts. Il tenait encore le jeu de cartes. Brusquement, il jeta les cartes, il secoua violemment ses mains, comme pour en essuyer le sang qui ruisselait entre ses doigts, et il prit la fuite en poussant un cri rauque.

Il ne ramassa même pas les quelques centaines de