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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/346

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le drapeau du libéralisme et se serait prudemment tenu tranquille.

Le parti républicain, à vraiment parler, n’existait pas. Il n’y avait aucun lien entre la bourgeoisie libérale et le peuple : le peuple restait en bas, sans chefs, sans tendances bien nettes, n’osant agir seul ; la bourgeoisie se contentait de rêver une petite liberté honnête, faite pour son usage. Les quelques républicains de salon qui traînaient partout leurs belles phrases étaient de simples bavards, qui ne se rendaient nullement compte de l’esprit moderne des sociétés, et qui cherchaient uniquement le moyen de se produire à leur avantage, grâce au nouvel état de choses.

En face de ces éléments républicains, faibles et désunis, se trouvaient deux camps puissants : les légitimistes, qui riaient tout bas de la chute de Louis-Philippe, espérant profiter de la bagarre pour ressaisir le pouvoir, et les conservateurs, la foule des commerçants qui réclamaient la paix à tout prix, quel que fût d’ailleurs le maître, roi légitime ou usurpateur. Ces derniers ne souhaitaient ardemment qu’une liberté : la liberté de gagner des millions.

Si Marseille eût osé, elle eût fait peut-être une contre-révolution. Obligée de se soumettre aux événements, elle se contenta d’opposer une sourde réaction au nouveau gouvernement. Dès la première heure, elle accepta la république avec méfiance et tâcha d’en amoindrir la portée autant que possible. Les éléments conservateurs et légitimistes dominèrent toujours dans la ville, et en firent un centre très actif d’opposition.

Par moments, lorsque la fièvre ne l’exaltait pas, Philippe voyait clairement que lui et les siens ne réussiraient jamais à faire de Marseille une ville républicaine ; et il avait alors de grands désespoirs et de grandes colères. Pendant quelque temps, il s’était jeté dans le journalisme ; mais il comprit vite que les articles ardents qu’il lançait n’étaient même pas lus par la foule effrayée des négociants, et que c’était là de l’enthousiasme