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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/36

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Et elle s’enfuit.

Marius envoya les mille francs. Puis, il n’apprit plus rien, il vécut pendant quinze jours dans une ignorance complète des événements. Il savait qu’on traquait Philippe avec acharnement, et c’était tout. D’ailleurs, il ne voulait point croire les versions grotesques ou effrayantes qui couraient dans le public. Il avait bien assez de ses terreurs, sans s’épouvanter des cancans d’une ville. Jamais il n’avait tant souffert. L’anxiété tendait son esprit à le rompre ; le moindre bruit l’effrayait ; il écoutait sans cesse, comme près d’apprendre quelque mauvaise nouvelle. Il sut que Philippe était allé à Toulon et qu’il avait failli y être arrêté. Les fugitifs, disait-on, étaient ensuite revenus à Aix. Là, leurs traces se perdaient. Avaient-ils tenté de passer la frontière ? Étaient-ils restés cachés dans les collines ? On ne savait.

Marius s’inquiétait d’autant plus qu’il négligeait forcément son travail chez l’armateur Martelly. S’il ne s’était pas senti cloué à son bureau par le devoir, il aurait couru au secours de Philippe, et se serait employé, en personne, à son salut. Mais il n’osait quitter une maison où l’on avait besoin de lui. M. Martelly lui témoignait une sympathie toute paternelle. Veuf depuis quelques années, vivant avec une de ses sœurs, âgée de vingt-trois ans, il le considérait comme son fils.

Le lendemain du scandale soulevé par M. de Cazalis, l’armateur avait appelé Marius dans son cabinet.

« Ah ! mon ami, lui avait-il dit, voilà une bien méchante affaire. Votre frère est perdu. Jamais nous ne serons assez puissants pour le sauver des conséquences terribles de sa folie ! »

M. Martelly appartenait au parti libéral et s’y faisait même remarquer par une âpreté toute méridionale. Il avait eu maille à partir avec M. de Cazalis, il connaissait l’homme. Sa haute probité, son immense fortune le plaçaient au-dessus de toute attaque, mais il avait la fierté de son libéralisme, il mettait une sorte d’orgueil