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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/360

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– Pourquoi ? répondit-il d’une voix lente, parce que je suis certain à l’avance d’échouer. Laissez-moi vous parler comme un ami, comme un père. Vous courez à votre perte, mon enfant. La République vous tuera, et vous tuerez la République. Vous savez quelles sont mes convictions, vous ne doutez pas, je l’espère, que je sois prêt à verser mon sang pour le triomphe du juste et du vrai. Mais, vraiment, nous ne nous trouvons point ici dans un milieu où le dévouement puisse être utile. Nous sommes vaincus avant d’avoir combattu. J’ai eu un instant la pensée d’aller à Paris, d’offrir mes services au nouveau gouvernement, de lui venir en aide par ma fortune et par ma personne. À Marseille, j’ai les bras liés. Aussi ai-je résolu de me tenir à l’écart, car je ne veux pas me mêler à toutes les sales affaires que je prévois.

– Alors, vous avez la certitude que la réaction triomphera ?

– Oui. Si toutes les villes de province sont animées du même esprit que Marseille, notre République durera au plus deux ou trois ans, et nous ne tarderons pas à avoir ensuite un dictateur. Interrogez les faits, ils vous répondront. »

Le ton grave de M. Martelly, son désespoir tranquille impressionnèrent vivement Philippe. Il eut un moment conscience de l’accablante réalité.

« Vous avez peut-être raison, reprit-il tristement, mais si les jeunes gens avaient votre expérience, ils se croiseraient les bras, et cela aurait l’air d’une lâcheté. Voyez-vous, il vaut mieux lutter... Alors, vous refusez de vous mettre en avant ?

– Non, certes... Si le peuple croit avoir besoin de moi, je répondrai à son appel, quoi qu’il arrive. Bien que je sois certain de ne pas réussir, je ne pense pas avoir le droit de me soustraire aux nécessités des circonstances. Je ne reculerai point devant un échec, du