Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/400

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« Voulez-vous que je vous donne un coup de main, mon ami ? »

Il leva la tête et reconnut M. de Girousse, qui, les mains dans les poches le considérait avec une curiosité heureuse.

M. de Girousse était arrivé la veille à Marseille. Sentant quelque grave événement dans l’air, il était accouru pour ne pas perdre l’occasion de distraire un instant l’ennui sourd qui le rongeait. Depuis la proclamation de la République, il attendait un drame. Il oubliait parfaitement qu’il appartenait à la noblesse, et regardait les colères du peuple en observateur désintéressé. En fouillant bien au fond de lui, il eût même trouvé plus de sympathie pour la cause démocratique que pour la cause légitimiste, à laquelle son nom le vouait fatalement. À Aix, on ne se gênait pas pour dire que M. de Girousse était un fier original qui se plaisait à serrer la main des ouvriers, et les nobles lui eussent peut-être fermé leurs hôtels, s’il n’eût porté un des plus anciens noms de la Provence.

Depuis le matin, il courait les rues de Marseille, étudiant les progrès de l’émeute, se mettant aux premières places, au beau milieu de la bagarre, pour ne perdre aucun détail. Une seule chose l’avait révolté, le coup de feu tiré sur le général. Autrement, il trouvait que le peuple payait généreusement de sa personne, qu’il avait une colère superbe et de magnifiques violences.

Dès qu’il avait entendu dire que les insurgés élevaient des barricades à la place aux Œufs, il s’était hâté d’accourir. Il voulait assister au dénouement du drame. Il pénétra dans l’enceinte des barricades, se mêla aux combattants, décida qu’il ne bougerait de là que lorsque tout serait terminé.

Philippe le regardait avec étonnement. Le comte était planté devant lui, vêtu d’une redingote noire, coiffé d’un feutre mou ; et, sous son bras, il tenait un grand diable de sabre, tout rouille, couvert de poussière. Il souriait d’un air goguenard.