Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/46

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la couverture sur le tas. Ils couchèrent là, au milieu des âcres exhalaisons de l’humidité.

Le lendemain, ils passèrent la journée dans un trou du torrent desséché de la Touloubre. Puis, vers le soir, ils rejoignirent le chemin de Venelles, firent un détour pour éviter de passer dans Aix, et gagnèrent le Tholonet. Ils arrivèrent à onze heures au bastidon que le mercier possédait en dessous de l’oratoire des jésuites.

La maison était plus convenable. Il y avait deux pièces une cuisine et une salle à manger dans laquelle se trouvait un lit de sangle ; les murs étaient couverts de caricatures coupées dans le Charivari, et des liasses d’oignons pendaient des poutres blanchies à la chaux. Les deux amants purent se croire dans un palais.

Au réveil, la peur les prit de nouveau ; ils gravirent la colline et restèrent jusqu’à la nuit dans les gorges des Infernets. À cette époque, les précipices de Jaumegarde gardaient encore toute leur sinistre horreur ; le canal Zola n’avait point troué la montagne, et les promeneurs ne s’aventuraient guère dans cet entonnoir funèbre de rochers rougeâtres. Blanche et Philippe goûtèrent une paix profonde au fond de ce désert, ils se reposèrent longtemps près d’une fontaine qui coule, claire et chantante, d’un bloc de pierres gigantesques.

Avec la nuit revint le cruel souci du coucher, Blanche avait peine à marcher encore, ses pieds meurtris saignaient sur les cailloux pointus et tranchants. Philippe comprit qu’il ne pouvait la conduire plus loin. Il la soutint, et lentement ils montèrent sur le plateau qui domine les Infernets. Là, s’étendent des landes incultes, de vastes champs de cailloux, des terrains vagues creusés de loin en loin par des carrières abandonnées. Rien n’est si étrangement sauvage que ce large paysage aux horizons pelés, tachés çà et là d’une verdure basse et noire ; les rocs, pareils à des membres tordus, percent la terre maigre ; la plaine, comme bossue, semble avoir été frappée de mort, au milieu des convulsions d’une effroyable agonie.