Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que les deux lettres présentées par l’accusé étaient des lettres antidatées qu’il lui avait fait écrire à Lambesc, par mesure de précaution.

Lorsque la lecture de l’acte d’accusation fut achevée, la salle s’emplit du murmure bruyant des conversations particulières. Chacun, avant de venir au Palais, avait sa version, et chacun discutait, à demi-voix, le récit officiel. Au-dehors, la foule poussait de véritables cris. Le président menaça de faire évacuer la salle, et le silence se rétablit peu à peu.

Alors, on procéda à l’interrogatoire de Philippe Cayol.

Lorsque le président lui eut fait les demandes d’usage et qu’il lui eut répété les motifs de l’accusation qui pesait sur lui, le jeune homme, sans répondre, dit d’une voix claire :

« Je suis accusé d’avoir été enlevé par une jeune fille. »

Ces paroles firent sourire tous les assistants. Les dames se cachèrent derrière leurs éventails pour s’égayer à leur aise. C’est que la phrase de Philippe, toute folle et absurde qu’elle paraissait, contenait cependant l’exacte vérité. Le président fit remarquer avec raison que jamais on n’avait vu un jeune homme de trente ans enlevé par une jeune fille de seize ans.

« On n’a jamais vu non plus, répondit tranquillement Philippe, une jeune fille de seize ans courant les grands chemins, traversant des villes, rencontrant des centaines de personnes, et ne songeant pas à appeler le premier passant venu pour la délivrer de son séducteur, de son geôlier. »

Et il s’attacha à montrer l’impossibilité matérielle de la violence et de l’intimidation dont on l’accusait. À chaque heure du jour, Blanche était libre de le quitter, de demander aide et secours ; si elle le suivait, c’est qu’elle l’aimait, c’est qu’elle avait consenti à la fuite. D’ailleurs, Philippe témoigna la plus grande tendresse pour la jeune fille et la plus grande déférence pour M. de