Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/99

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Si l’on vous donne le dix pour cent, vous devrez vous estimer heureux. Et cela dans dix-huit mois, deux ans, lorsque le syndic de la faillite aura terminé sa tâche. »

Marius était bouleversé. Ainsi, les cinquante mille francs que sa mère lui avait laissés, se changeraient en une somme ridicule qui ne lui servirait à rien. Il lui fallait de l’argent tout de suite, et on lui parlait d’attendre deux ans. Et sa ruine, son désespoir était l’œuvre d’un scélérat qui venait de le berner ! La colère montait en lui.

« Ce Bérard est un coquin, dit-il avec force. Il sera vigoureusement traqué. On doit débarrasser la société de ces hommes habiles qui s’enrichissent de la ruine des autres. Le bagne les attends. »

Le commis partit d’un nouvel éclat de rire.

« Bérard, reprit-il, aura peut-être quinze jours de prison. Voilà tout. Vous recommencez à ne pas comprendre ?… Écoutez-moi…  »

Les deux jeunes gens étaient restés debout sur le trottoir. Les passants les coudoyaient. Ils rentrèrent dans le vestibule de la maison du banquier.

« Vous dites que le bagne attend Bérard, continua le commis. Le bagne n’attend que les gens maladroits. Depuis dix ans qui mûrit et caresse sa faillite, notre homme a pris ses précautions ; c’est toute une œuvre d’art qu’une pareille infamie. Ses compte sont en règle, et il a mis la loi de son côté. Il sait à l’avance les risques légers qu’il court. Le tribunal pourra tout au plus lui reprocher de trop fortes dépenses personnelles ; ou l’accusera encore d’avoir mis en circulation un grand nombre de billets, moyen ruineux de se procurer de l’argent. Ces fautes n’entraînent qu’un châtiment dérisoire. Je vous l’ai dit, Bérard aura quinze jours, un mois au plus de prison.

— Mais, s’écria Marius, ne pourrait-on aller crier le crime de cet homme en pleine place publique, prouver son crime et le faire condamner ?