Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/98

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que, dès le premier jour, il n’ait préparé sa faillite. Voici le raisonnement qu’il a dû se tenir : « Je veux être riche, parce que j’ai de larges appétits ; je veux être riche au plus tôt, parce que je suis pressé de contenter mes appétits. Or la voie droite est rude et longue, je préfère suivre le sentier de l’escroquerie et ramasser mon million en dix ans. Je vais me faire banquier, j’aurai une caisse pour prendre les fonds du public à la pipée. Chaque année j’escamoterai une somme ronde. Cela durera autant qu’il le faudra, je m’arrêterai quand mes poches seront pleines. Alors je suspendrai tranquillement mes paiements, sur deux millions qui m’auront été confiés, je rendrai généreusement deux ou trois cent mille francs à mes créanciers. Le reste, caché dans un petit coin que je sais, m’aidera à vivre comme je l’entends en paresseux et en voluptueux. » Comprenez-vous, cher monsieur ? »

Marius écoutait le commis avec stupéfaction.

« Mais, s’écria-t-il enfin, ce que vous me contez là est impossible. Bérard vient de me dire que son passif est d’un million et son actif d’un million cinq cent mille francs. Nous serons tous remboursés intégralement. »

Le commis se mit à rire aux éclats.

« Ah ! mon Dieu ! que vous êtes naïf ! reprit-il. Vraiment, vous croyez à cet actif d’un million cinq cent mille francs ?… D’abord on prélèvera sur cette somme la dot de Mme Bérard. Or Mme Bérard a apporté cinquante mille francs à son mari que celui-ci a transformés, dans l’acte de mariage, en cinq cents beaux mille francs. Comme vous le voyez, c’est un petit vol de quatre cent cinquante mille francs. Reste un million, et ce million est presque entièrement représenté par des créances véreuses… Allez, le procédé est facile. Il y a à Marseille des gens qui, pour cent sous, vendent leur signature ; ils vivent même fort bien de ce métier aisé et lucratif. Bérard s’était fait signer des tas de billet par ces hommes de paille, et il a empoché l’argent qu’il prétend aujourd’hui avoir prêté à des débiteurs insolvables…