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Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/170

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devant cette neige des cheveux et de la barbe, devant cette marche lente, cet air infiniment triste, Pierre se rappelait l’acharnement du malheur qui avait vieilli cet homme. Quelques années à peine s’étaient écoulées, et il le retrouvait foudroyé par le destin.

— Vous ne saviez point que j’étais resté à Lourdes, n’est-ce pas ? C’est vrai, je n’écris plus, je ne suis plus avec les vivants, car j’habite au pays des morts.

Des larmes parurent dans ses yeux ; et il reprit, la voix brisée :

— Tenez ! venez vous asseoir sur ce banc, ça me fera tant plaisir, de revivre un instant avec vous, comme autrefois !

À son tour, le prêtre sentit un sanglot le suffoquer. Il ne trouvait rien, il ne put que murmurer :

— Ah ! mon bon docteur, mon vieil ami, je vous ai plaint de tout mon cœur, de toute mon âme !

C’était le désastre, le naufrage d’une vie. Le docteur Chassaigne et sa fille Marguerite, une grande, une adorable fille de vingt ans, étaient venus installer à Cauterets madame Chassaigne, l’épouse, la mère d’élection, dont la santé leur donnait des inquiétudes ; et, au bout de quinze jours, elle allait beaucoup mieux, elle projetait des excursions, lorsque, brutalement, un matin, on l’avait trouvée morte dans son lit. Atterrés sous le coup terrible, le père et la fille restèrent comme étourdis par la trahison du sort. Le docteur, originaire de Bartrès, avait, dans le cimetière de Lourdes, une sépulture de famille, un tombeau qu’il s’était plu à faire construire, et où reposaient déjà ses parents. Aussi voulut-il que le corps de sa femme y vînt dormir, à côté de la case vide, où il comptait bientôt la rejoindre. Et il s’attardait là, depuis une semaine, avec Marguerite, quand celle-ci, prise d’un grand frisson, s’alita un soir, et mourut le surlendemain, sans que son père égaré pût se rendre un compte exact de la