Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/175

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déchirait le cœur. Sous de tels coups, n’est-ce pas une pitié que de voir les plus forts, les plus clairs, redevenir enfants ?

— Ah ! soupira-t-il très bas, si je souffrais assez pour faire taire aussi ma raison, et m’agenouiller là-bas, et croire à toutes ces belles histoires !

Le pâle sourire qui, parfois encore, passait sur les lèvres du docteur Chassaigne, reparut.

— Les miracles, n’est-ce pas ? Vous êtes prêtre, mon enfant, et je sais votre malheur… Les miracles vous paraissent impossibles. Qu’en savez-vous ? Dites-vous donc que vous ne savez rien, et que l’impossible, selon nos sens, se réalise à chaque minute… Et, tenez ! nous avons causé longtemps, onze heures vont sonner, et il faut que vous retourniez à la Grotte. Mais je vous attends à trois heures et demie, je vous mènerai au bureau médical des constatations, où j’espère vous montrer des choses qui vous surprendront… N’oubliez pas, à trois heures et demie.

Il le renvoya, il resta seul sur le banc. La chaleur s’était encore accrue, les coteaux au loin brûlaient, dans l’éclat de fournaise du soleil. Et il s’oubliait, rêvant sous le petit jour verdâtre des ombrages, écoutant le murmure continu du Gave, comme si une voix de l’au-delà, une voix chère, lui avait parlé.

Tout de suite, Pierre se hâta de rejoindre Marie. Il put le faire sans trop de peine : la foule s’éclaircissait, beaucoup de monde déjà allait déjeuner. Près de la jeune fille, tranquillement assis, il aperçut le père, M. de Guersaint, qui voulut immédiatement s’expliquer sur sa longue absence. Pendant plus de deux heures, le matin, il avait battu Lourdes dans tous les sens, frappé à la porte de vingt hôtels, sans pouvoir trouver la moindre soupente, où coucher : les chambres de bonnes elles-mêmes étaient louées, on n’aurait pas découvert un matelas, pour s’étendre