Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/174

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dormir, espérant que j’allais devenir fou. Toutes sortes d’idées se battaient, j’avais des révoltes pendant lesquelles je montrais le poing au ciel, je tombais ensuite à des humilités, suppliant Dieu de me prendre à mon tour… Et c’est enfin une certitude de justice, une certitude d’amour qui m’a calmé, en me rendant la foi. Voyons, vous avez connu ma fille, si grande, si belle, si éclatante de vie : ne serait-ce pas la plus monstrueuse injustice, si, pour elle qui n’a pas vécu, il n’y avait rien au delà du tombeau ? Elle doit revivre, j’en ai l’absolue conviction, car je l’entends encore parfois, elle me dit que nous nous retrouverons, que nous nous reverrons. Oh ! les êtres chers qu’on a perdus, ma chère fille, ma chère femme, les revoir, revivre ailleurs avec elles, l’unique espérance est là, l’unique consolation à toutes les douleurs de ce monde !… Je me suis donné à Dieu, puisque Dieu seul peut me les rendre.

Un petit grelottement de vieillard débile l’agitait, et Pierre comprenait enfin, rétablissait ce cas de conversion : le savant, l’intellectuel vieilli, qui retournait à la croyance, sous l’empire du sentiment. D’abord, ce qu’il n’avait pas soupçonné jusque-là, il découvrait une sorte d’atavisme de la foi, chez ce Pyrénéen, ce fils de paysans montagnards, élevé dans la légende, et que la légende reprenait, même lorsque cinquante années d’études positives avaient passé sur elle. Puis, c’était la lassitude humaine, l’homme auquel la science n’a pas donné le bonheur, et qui se révolte contre la science, le jour où elle lui paraît bornée, impuissante à empêcher ses larmes. Et, enfin, il y avait encore là du découragement, un doute de toutes choses qui aboutissait à un besoin de certitude, chez le vieil homme, attendri par l’âge, heureux de s’endormir dans la crédulité.

Pierre ne protestait pas, ne raillait pas, car ce grand vieillard foudroyé, avec sa sénilité douloureuse, lui